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La politique des grandes puissances et la « question arménienne »
vendredi 2 novembre 2012, par
A leur époque, les Mongoles étaient la super-puissance au Proche Orient. En 1236, ils dévastèrent Ani et, en 1379, sous Timur Lenk ils envahirent de nouveau l’Anatolie orientale. La situation de la population arménienne était si désespérée que le siège du Catholicos fut transféré à Edchmiadzin. Sis, le dernier bastion arménien au sud de l’Anatolie avait été conquis par les Mamelouks en 1375.
Depuis cette catastrophe les Arméniens en tant que puissance militaire ou territoriale ne jouaient plus aucun rôle historique. Evidemment, cela ne concerne pas leurs activités religieuses et culturelles.
Pour comprendre la genèse d’une « gestion arménienne » en tant que facteur de la politique des grandes puissances, il faut prendre en considération l’expansionnisme de la Russie tsariste et ses nombreux « coups » pour réaliser ses aspirations. Maintes fois, les Arméniens furent les victimes de ces tricheries politiques dans le jeu d’échec mené par des instigateurs à Saint-Pétersbourg et à
Moscou.
C’est avec une rapidité et une détermination époustouflante que la Russie s’empara de territoires turcs et persans.
En relativement peu de temps, ils annexèrent les parties méridionales de l’Asie centrale, le nord de l’Iran, le Caucase, la Crimée et ouvrirent l’accès aux Balkans. Cet élan irrésistible explique bien l’importance d’une « question arménienne », surtout quand on se rappelle l’objectif principal de la Russie : la conquête des Dardanelles.
1774
Le prélude au démembrement de l’Empire ottoman. Soixante-cinq ans auparavant, le traité de Karlowitz avait déjà été un coup brutal pour les Turcs. Mais maintenant, au traité de Kùçuk Kay-narca, l’Empire ottoman perd son prestige : Ce sont l’Autriche et la Russie qui désormais détermineront l’évolution aux Balkans. A l’est ce sont le Russes seuls.
Depuis 1515, l’Anatolie orientale était ottomane ; en 1578, le Sultan Murad III avait conquis la Géorgie. Comme des Turcs en Orient, il ne resta plus que les Persans. En 1637, les Ottomans conclurent avec les Safavides le traité de Kasr-i-Sirin. Malgré les guerres qui y succédèrent, la frontière turco iranienne n’a pas bougé depuis 1639.
Toutes les guerres entre Turcs et Persans concernaient le territoire arménien - arménien au sens de la province historique. Le terme n’a rien à voir avec une quelconque entité politique du peuple des Haik, qui avec beaucoup d’autres tribus habitent les régions de l’Anatolie orientale et les territoires environnants.
Au temps du traité de Kasr-i-Schirine, en 1639 - la Crimée était ottomane, ainsi que la Géorgie et le littoral entier de la Mer Noire. La Mer Noire était une mer intérieure turco-ottomane. Depuis 1639, Erivan était sous domination persane, une ville presque entièrement islamique. La premier pas des russes en direction du Caucase fut la conquête d’Astraken en 1556.
Bien qu’appartenant nominalement à la Perse, l’Azerbaïdjan fut en effet sous contrôle ottoman. Il n’y a qu’une seule fois que des « Arméniens » plus précisément des Haik, sont mentionnés : entre 1603 et 1604, lorsque le Shah Abbas fit transférer les Arméniens d’Erivan et de D juif a en Perse centrale.
En 1461, Mehmed le Conquérant avait fondé le patriarcat arménien d’Istanbul. Au patriarche arménien de cette cité furent assujettis tous les Arméniens et monophysites de l’Empire. Les sièges des Catholicos de Sis ou Etchmiadzin - alors sous contrôle persan - n’avaient aucune autorité dans l’Empire ottoman.
Les Russes intervinrent dans la guerre turco-persane de 1723 à 1727 et envoyèrent des troupes en direction de la mer Caspienne. Le khanate de Kuba, au nord de Bakou, tomba sous l’influence russe.
Conséquence des événements en Pologne, une guerre russo-turque éclata en 1768 ; l’armée ottomane fut vaincue 1774, on conclut la paix de Küçük Kaynarca.
Maintenant, les Russes avancent pour la première fois dans le Caucase. Ils atteignent Kutaïssi et, sur la route de Poti, Akhaltsiche, à quelques kilomètres de l’actuelle frontière turco-soviétique.
Mais le traité de Kùçuk Kaynarca livre aux Russes également Kabartay en Transcaucasie, sur les pentes orientales de l’Elbrus et - ce qui est plus important que tous ces agrandissements du territoire – concède aux Russes un certain droit d’intervention en faveur des Chrétiens de l’Empire ottoman. A partir de ce moment, la Russie ne cesse plus de chercher à réaliser de nouveaux agrandissements de son territoire, toujours aux frais des Turcs et presque toujours sous le prétexte de protéger des chrétiens.
1783
La Russie conclut un traité de Protection avec le prince chrétien de Géorgie et gagne ainsi en grande partie, le contrôle sur l’ancienne « Ibérie ».
1787
L’Impératrice Catherine II de Russie et l’Empereur Joseph II se rencontrent à Kherson en Crimée. Du 14 mai au 13 juin les deux souverains négocient le partage de l’Empire ottoman. Le « Projet grec », qui est élaboré à Kherson, à moins de soixante kilomètres de Yalta, prévoit la fondation d’un état grec-orthodoxe « Dacia ». Ce nouvel état comprendrait la Bessarabie, la Molvadie et la Valachie et assurerait aux Russes les territoires à l’ouest du Dniepr et en même temps l’influence de l’Autriche sur les Balkans.
Au cas où Constantinople tomberait, on envisageait la fondation d’une nouvelle Byzance. Peu après, l’Empire ottoman déclare la guerre aux Russes. Il y a quelques actions militaires au Caucase qui restent sans conséquences sur le plan territorial.
1796
Les vaines tentatives persanes pour regagner des territoires perdus servent de prétexte aux Russes pour envahir Kouba, Bakou, Derbent, Shivan et Karabag.
1801
Les Russes annexent la Géorgie.
1812
Après la paix de Bucarest, les Russes s’assurent le contrôle du Bassin de Riom, à l’ouest de Suram, au Caucase.
1813
Après la paix de Goulistan, les russes occupent les territoires persans sur la mer Caspienne (ligne approximative de l’actuelle frontière irano-soviétique).
Lorsque le Shah Abbas Mirza tente de reconquérir ses territoires perdus il subit une nouvelle défaite, qui cette fois est désastreuse.
1828
Dans le traité de Tùrkmençayi, les Persans sont obligés de céder aux Russes les Khanates d’Erivan et Nachitchévan (aujourd’hui une SSR autonome au sud-est du mont Ararat). Les frontières tracées alors, subsistent toujours. Pour la première fois, de nombreux volontaires arméniens prennent part à ces combats préfigurant ceux de 1914 à 1922. Le fait que les Haik de la région d’Erivan, au lieu d’être sous domination persane se trouvent maintenant sous contrôle russe, est lourd de conséquences : Les Russes ont vite compris à quelles fins ils pouvaient exploiter les Arméniens. En 1828, Etchmiadzin, siège d’un Catholicos arménien-orthodoxe passe également sous la domination russe. A la suite du traité de Turkmençai et de la guerre avec les Grecs, les Britanniques et les Français si désastreuse pour les Turcs à l’ouest, les Russes avancent jusqu’à Erzeroum.
1839
Dans le traité d’Edirne les Russes obtiennent les places fortes sur la Mer Noire, Poti et Anapa, ainsi que Achaltsik, Akhalkalak et Atschur. L’actuelle frontière russo-turque est fixée. Le Caucase tombe entièrement aux mains des Russes.
Le traité de paix garantit aux Haik et aux musulmans le droit d’opter ou pour la Russie ou pour l’Empire ottoman. Plus de 100.000 Arméniens quittent la région jusqu’à Erzeroum et émigrent dans le territoire de l’actuelle République Soviétique d’Arménie.
Une majorité de musulmans quitte le Cau case et se retire en Anatolie. Jusqu’à ce jour, Erivan avait été habité presque exclusivement par des Musulmans.
Après le traité de Türkmençayi (en 1828 ; Türkmençayi se situe dans le nord de la Perse), le Tsar créa ce qui devint plus tard la république soviétique d’Arménie en réunissant les khanats de Erivan et de Nakhitchevan.
Tous les habitants devinrent citoyens russes, lui-même se déclara « Roi d’Arménie » - tout comme il avait le titre de « Roi de Pologne ».
1849
Le Caucase fut divisé en deux parties, mais en 1854 cette décision fut révoquée car les Musulmans refusèrent de se plier à une domination de Chrétiens arméniens et géorgiens et se révoltèrent fréquemment.
Le Prince Vorontsov, chargé de réorganiser cette région, découpa cette contrée en une multitude de petits départements. Les Arméniens habitèrent surtout la région de Tiflis, mais ils s’établirent bientôt en grand nombre dans le département d’Erivan.
1854
Fut également l’année de la guerre de Crimée ; elle éclata car les Ottomans refusèrent d’accepter un protectorat russe pour les Chrétiens de l’empire ottoman.
Le but des Russes était de renverser l’empire ottoman, de faire mourir « l’homme malade du Bosphore » afin de prendre le pouvoir.
1854
Kars tomba aux mains des Russes après une défense héroïque.
1856
Le « protocole de Vienne » mit fin à la guerre de Crimée.
Le traité de paix signé à Paris fut un véritable succès pour l’empire ottoman. Kars lui fut rendu, l’odieux protectorat pour les Chrétiens orthodoxes de Turquie fut aboli. (Ce protectorat peut être considéré comme un présage de la doctrine de Brechnev.) Ce fut surtout l’Angleterre qui s’opposa à un partage de l’empire ottoman car elle crut ses intérêts en danger. Moins de vingt années plus tard, la Russie essaya à nouveau de mettre l’empire ottoman à genoux.
C’est avant tout l’Angleterre qui refuse de souscrire aux projets de répartition de l’Empire ottoman avancés par les Russes ; parce qu’elle y voit une atteinte à ses propres intérêts. D’ailleurs vingt ans plus tard, les Russes chercheront de nouveau à mettre à genoux l’Empire ottoman.
1863
Un « Règlement de la nation arménienne » est publié. Il ne change rien au statut des Arméniens à l’intérieur de l’Empire ottoman, mais - sur la demande de la minorité arménienne - diminue les prérogatives du patriarche d’une manière décisive. A côté des « millet » catholique et protestant, qui avaient déjà porté atteinte à l’autorité du Patriarche, il y a maintenant les représentants politiques des Arméniens. Tous se disputent la position dominante à l’intérieur du groupe ethnique, au détriment des Arméniens et au seul avantage des radicaux.
Il y avait des Arméniens prévoyants qui craignaient déjà les conséquences fatales de cette évolution pour leur peuple. Si on réalisait les vieux projets de la conférence de Crimée entre Joseph II et Catherine II d’ériger une Byzance grecque orthodoxe sous protectorat russe, cela ne pouvait aboutir qu’à de nouvelles tentatives de l’église orthodoxe grecque (ou russe) pour subjuguer définitivement les Arméniens.
1876
Une conférence, réunie à Istanbul, d’ambassadeurs des puissances mondiales refusa de tenir compte d’une démarche du patriarche arménien. Seuls les Russes s’étaient intéressés aux Arméniens, ces derniers leur servant lors de leurs conquêtes à l’est.
Chaque fois que les Russes eurent besoin de bourreaux, ils eurent recours aux Arméniens afin de ne pas se salir les mains. La conquête d’Erzurum en 1839 en est un bon exemple : les Arméniens furent responsables d’un massacre de Musulmans.
1877
Le Balkan étant perdu, il devint clair que les Russes essaieraient de s’avancer de la Méditerranée en suivant l’axe Erzurum- Alexandrette (aujourd’hui Iskenderun). Les Arméniens gagnèrent alors en importance pour la Russie : il était prévu qu’ils serviraient en tant que cinquième colonne. Les Russes n’eurent aucun scrupule à exploiter le clergé arménien et les cadres des révolutionnaires arméniens.
L’intérêt que les Anglais portaient aux Arméniens s’éveilla à ce moment. Ils pensèrent former un état arménien qui servirait d’amortisseur entre les grandes puissances et l’empire ottoman si ce dernier venait à s’écrouler.
1877
Le 24 avril vit le début de la guerre la plus courte entre Russes et Ottomans pour lesquels cette guerre devint également la plus dévastatrice. La « catatrophe de 1293 » reste toujours proverbiale pour les Turcs (1293 est la date d’après le calendrier ottoman).
Les Russes eurent l’avantage sur le front est dès le début. Kars se rendit le 18 novembre. Les Russes étaient placés sous le commandement du général arménien Loris Melikof. Erzurum résista aux attaques russes, mais les Turcs essuyèrent une défaite cuisante sur le front des Balkans.
1878
Le 31 janvier : L’armistice d’Edirne. Selon les apparences, l’Empire ottoman est condamné. Rien ne peut arrêter les Russes, s’ils veulent marcher sur Constantinople.
Mais d’abord les représentants des Arméniens entrent en contact avec les Russes à Edirne. Au début de la guerre, ils s’étaient unanimement rangés dans le camp de leur patrie ottomane. Maintenant, après la débâcle de Plevna, les Arméniens changent d’avis et appuient la politique russe. Des premiers contacts avaient déjà eu lieu à Edirne. Si oui ou non le patriarche et le catholicos sont impliqués dans ce scénario n’est plus vérifiable. Un des résultats de ces interventions est le fait que les Russes, dans leur traité de San Stefano intercèdent en faveur des Arméniens - dans des termes assez vagues d’ailleurs, les Russes n’ayant aucunement l’intention d’accorder l’indépendance à leurs propres ressortissants arméniens.
L’article 16 du traité de San Stefano (Yesilköy) stipule que « ... la Sublime Porte s’engage à réaliser sans plus de retard les améliorations et les réformes exigées par les besoins locaux dans les ? Provinces habitées par les Arméniens et à garantir leur sécurité face aux Kurdes et aux Circassiens ».
Cette clause totalement vague constitue toutefois un tournant décisif pour les Arméniens. Pour la première fois, ils sont mentionnés dans un traité international, même s’il ne s’agit que d’un traité. Les Arméniens apprécient cette formule sans se soucier de l’imprécision de son contenu. (Les Russes savaient très bien pourquoi ils n’entraient pas dans les détails).
Ce n’est que trop tôt que le « traité » de San Stefano révèle son caractère provisoire : L’Angleterre et l’Autriche le refusent. Enfin on adopte la proposition du prince de Bismarck de convoquer un Congrès à Berlin pour régler la « Question ottomane ».
Les représentants des puissances se rencontrent à Berlin entre le 13 juin et le 13 juillet 1876. Outre les deux chanceliers Gorchakov et Bismarck, le comte Andrassy pour l’Autriche-Hongrie, Lord Beaconsfield pour l’Angleterre, Waddington pour la France, Corti pour l’Italie, Karatheodori et Mehmed Ali pour l’Empire ottoman se rencontrent dans la nouvelle capitale de l’Allemagne. Le seul but du congrès est de supprimer du traité de San Stefano les conditions trop dures pour les Ottomans. C’est justement ce qui se réalise.
C’est en vain qu’une importante délégation arménienne sous la direction du prélat Khrimian–ancien patriarche arménien-orthodoxe, s’était rendue à Berlin. C’est un fait établi que, nulle-part en Anatolie, les Arméniens ne disposent d’une majorité quelconque. Personne ne veut accorder une autonomie à une minorité, qui même à Van ne comprend qu’un tiers de la population.
Le 8 juillet 1878, le congrès, au lieu de l’article 16 de San Stefano, adopte « l’article 61 ». Il correspond largement à celui de San Stefano. Aussi l’article 62 concerne la liberté confessionnelle. Nulle part, il n’y a une simple allusion à une quelconque autonomie.
Le « millet » arménien n’est pas assez important pour de telles considérations.
Le 19e siècle est celui du triomphe des états nationaux, mais en même temps celui des majorités démocratiques. La Bulgarie, la Serbie, la Grèce, la Roumanie, - tous accèdent à l’indépendance et partout la nation dispose d’une solide majorité.
Cela n’est pas le cas avec les Arméniens : Certes, dans les vastes régions revendiquées il y eut 2.000 ans avant notre ère dans des conditions fondamentalement différentes, un roi arménien qui régnait sur un royaume arménien. Mais, le 19e siècle demande des populations majoritaires, et partout en Anatolie ce ne sont que les musulmans qui obtiennent la majorité.
Voici les circonstances sous lesquelles naît l’extrémisme arménien : des groupuscules qui ne veulent pas admettre les simples faits, révolutionnaires, ecclésiastiques, intellectuels, pour la plupart incités par la Russie, mais aussi par ses missionnaires ont recours à des méthodes de plus en plus insensées pour faire du bruit. Ils espèrent gagner un jour ou l’autre le pouvoir contre la volonté de la majorité.
– Télécharger le dossier complet "UN MYTHE DE LA TERREUR" de Erich Feigl
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